Lambeaux, dénicheur d'Eugen Sandow

Grand amateur de cirque, Jef Lambeaux ne pouvait qu'être séduit par le phénomène musculaire Eugen Sandow. Friederich Wilhelm Mueller, de son vrai nom, naquit en 1867 en Prusse. Vers la fin des années '80, cet haltérophile travaillait dans un cirque bruxellois qui fit faillite. C'est à ce moment difficile de sa carrière qu'il rencontra Lambeaux et un autre sculpteur belge: Charles Van der Stappen.



Sueur et rage de vaincre

Homme du peuple, Jef Lambeaux ne perdra jamais son émerveillement d'enfant au spectacle des lutteurs, boxeurs et autres culturistes qui s'exhibaient autrefois sur les places. Sander Pierron rapporte: "En hiver, vous rencontrerez Lambeaux tous les soirs au cirque. En été, aux mois de juiillet et d'août, vous serez certain de le trouver au premier rang des spectateurs dans les arènes athlétiques de la foire du boulevard du Midi." C'est là que Lambeaux puisait l'inspiration de ses puissants groupes sculptés qui expriment l'effort, la douleur et les émotions du combat.



Physique de statuaire grecque

Eugen Sandow fit le tour du monde avec des spectacles de force qui mettaient en scène son physique exceptionnel. Il réalisait des exploits techniques comme le dévissé d'un bras, soulevant d'une seule main deux personnes. Doté du sens des affaires, Sandow fit fortune en créant plusieurs sociétés qui commercialisaient des équipements de musculation (extenseurs, haltères,…). Il publia des livres sur l'entraînement des culturistes. Après sa mort en 1925, son nom entra dans la langue usuelle: un "sandow" désigne un élastique extenseur.



Santé, beauté, force

Edmond Desbonnet, père fondateur du body-building et inventeur du slogan "santé, beauté, force", a bien connu Sandow. Il raconte le retour en Belgique d'un Sandow riche et auréolé de gloire 25 ans plus tard: "Il rendit grâce à la Providence qui le fit rencontrer les hommes qu'il fallait au moment propice, le professeur d'athlétisme Attila, les sculpteurs Jef lambeaux et Van der Stappen (…). Dès lors ce fut pour Sandow la subsistance assurée et il put échafauder les projets qui devaient le conduire à la gloire mondiale." (merci à Jacques Lennep qui a nous signalé la référence bibliographique!).

Le Dénicheur d'Aigles (Lambeaux)



Sandow inspira à Lambeaux son superbe "Dénicheur d'Aigles". L'exemplaire photographié se trouve au Musée des Beaux-Arts de Bruxelles, dans une salle où est exposée également la Folle Chanson. Le "dénicheur" peut aussi être admiré dans le parc du Château d'Enghien, mais la patine de cet exemplaire a fort souffert des intempéries. Lambeaux avait présenté le Dénicheur d'Aigles à l'exposition des Beaux-Arts de Bruxelles en 1890. Il traita à plusieurs reprises le thème de l'aigle, notamment pour son Prométhée (Zoo d'Anvers) ou son Homme à l'aigle (commune de St-Gilles, échevinat développement économique).

Le Tombeau des Lutteurs (Van der Stappen)

Sandow a également servi de modèle pour une autre sculpture bruxelloise bien connue: le Tombeau des Lutteurs, installé avenue Louise en surplomb du parc de la Cambre. Charles Van der Stappen s'est inspiré d'un livre de Léon Cladel. Toujours invaincu après tant de glorieuses victoires, le lutteur Ompdrailles, trahi par une femme, se suicide d'un poignard dans le cœur. Il est découvert par son vieil ami Arribial, lutteur qu'il avait vaincu autrefois:

"Arribial, pareil à quelque apôtre avec ses vénérables mèches de poils blancs, le tenant pieusement sous les aisselles, l'offrait à la muette adoration de la foule."


Bibliographie

o Sander Pierron, in Etudes d'Art, "Jef Lambeaux", 1903, p. 92
o Edmond Desbonnet, in La Culture Physique, vol 51, n°645, 1947, "Extrait des mémoires du Professeur Desbonnet".
o Jacques Lennep, L'art du Bander – Dialectique de la musculation, Ed. de l'Heure, Charleroi, 2001 (introduction).
o Léon Cladel, Ompdrailles, le tombeau des lutteurs, 1879 sur http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5535295r





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Philippe Leclercq
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